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Au cours de sa vie professionnelle, un mandataire judiciaire fait face à des problématiques environnementales. En effet, les entreprises placées en liquidation judiciaire sont nombreuses à exploiter des activités relevant de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ci-après « ICPE »). La réglementation ICPE encadre les risques industriels et agricoles, afin de préserver notamment l’environnement et la santé. A ce titre, cette réglementation limite les émissions polluantes et prévoit des outils de gestion des risques. Dans la mesure où il y a 500 000 ICPE en France et où 48 000 entreprises sont placées en liquidation judiciaire par an en moyenne, les problématiques environnementales concernent tous les mandataires judiciaires.
Or, l’articulation entre le droit des ICPE et le droit des procédures collectives n’est pas toujours évidente. Cet article vous donne des clefs de compréhension et des recommandations pratiques, pour que chaque mandataire judiciaire puisse aborder sereinement ces problématiques.
Une ICPE est une usine, un atelier, un dépôt, un chantier ou une installation qui peut présenter des dangers ou des inconvénients aux intérêts suivants, visés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement :
Pour savoir si une activité relève de la réglementation des ICPE, il est nécessaire d’étudier la nomenclature ICPE, qui est annexée à l’article R. 511-9 du code de l’environnement.
Cette nomenclature est un tableau qui classe les activités et substances entraînant l’application de la réglementation ICPE.
Les rubriques de la nomenclature sont subdivisées en fonction de certains seuils (volumes et quantités notamment).
En fonction de ces seuils, le site pourra être soumis à l’un des trois régimes suivants : l’autorisation (A), l’enregistrement (E) et la déclaration (D).
L’autorisation est le régime le plus strict. Il s’agit des installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts susvisés. C’est dans le régime de l’autorisation que se trouvent les ICPE SEVESO, qui sont les plus dangereuses.
L’enregistrement est le régime de l’autorisation simplifiée. Il s’agit des installations qui présentent des dangers ou inconvénients graves, lorsque ces dangers et inconvénients peuvent être prévenus par le respect de prescriptions générales. La déclaration est le régime le plus léger. Ce sont les installations qui, même si elles ne présentent pas de graves dangers ou inconvénients, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales.
La cessation d’activité consiste à mettre fin à l’activité (partiellement ou entièrement) d’une ICPE sur les plans administratif et technique, tout en préservant les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.
La cessation d’activité est une étape incontournable pour le liquidateur judiciaire. En effet, à compter du jugement prononçant l’ouverture de la liquidation judiciaire, il est de facto considéré par l’administration comme le dernier exploitant ICPE en lieu et place du dernier exploitant « réel » dessaisi de ses biens (article L. 641-9 du code de commerce). Il appartient donc au liquidateur judiciaire de gérer l’activité ICPE et il devient à ce titre l’interlocuteur de la préfecture, laquelle surveille les conditions dans lesquelles l’activité prend fin, peut prendre des sanctions et alerter le procureur de la République. La procédure de cessation définitive d’activité d’un site ICPE est définie par le code de l’environnement et se décompose en plusieurs étapes (cf. article R. 512-75-1 du code de l’environnement).
La fin de l’activité doit être notifiée au préfet de département, qui est l’autorité de police des ICPE. Le code de l’environnement prévoit divers délais de notification selon les régimes ICPE concernés (1 mois, 3 mois ou 6 mois préalablement à la cessation d’activité). Le respect de ces délais est rarement possible en cas de liquidation judiciaire car le tribunal décide de l’arrêt de l’activité. C’est pourquoi il est généralement admis dans la pratique que la liquidation judiciaire notifie la cessation dans les meilleurs délais après le placement de l’entreprise en liquidation.
Il s’agit de la mise à l’arrêt des activités relevant de la réglementation ICPE (NB : il arrive que le maintien de l’activité soit prévu par le juge, par exemple pour permettre à l’exploitant de mettre le site en sécurité).
La mise en sécurité du site ICPE consiste à évacuer et/ou gérer les produits dangereux et les déchets, à interdire ou limiter l’accès au site, à supprimer les risques d’incendie ou d’explosion et à surveiller les effets de l’installation sur l’environnement. Depuis peu, il existe une créance environnementale légale pour cette étape, comme détaillé ci-dessous.
En France, il n’existe pas de seuil légal de dépollution. La dépollution se fait par rapport à un usage futur. Il existe 8 usages futurs possibles : industriel, tertiaire, résidentiel, récréatif de plein air, agricole, accueil de populations sensibles, renaturation et autres usages. La détermination de l’usage futur est importante car elle va déterminer le type de mesures à réaliser pour remettre le site en état.
Communément appelée « dépollution » ou « réhabilitation », la remise en état d’un site ICPE consiste à placer le terrain dans un état environnemental compatible avec l’usage futur déterminé, dans le respect des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.
La remise en état du site peut présenter un intérêt pour la préservation de l’actif immobilier. Dans la pratique, nous constatons néanmoins que la réalisation de cette dernière étape représente une exception dans les dossiers de liquidation judiciaire. Plusieurs raisons l’expliquent, notamment les coûts importants des travaux de dépollution, l’incertitude liée aux aléas de chantier de ces travaux, l’absence de créance privilégiée pour la remise en état et bien évidemment l’absence de fonds disponibles.
En matière de gestion des créances environnementales lors de la procédure de liquidation, les créances liées à la mise en sécurité du site (étape n°3 ci-dessus) sont désormais qualifiées de créances postérieures privilégiées. C’est l’un des apports de la loi n°2023-973 « Industrie Verte » du 23 octobre 2023. Concrètement, pour les liquidations judiciaires ouvertes depuis le 25 octobre 2023, date d’entrée en vigueur de la loi, les créances nées postérieurement au jugement de liquidation pour assurer la mise en sécurité du site ICPE doivent être payées à échéance (article L. 641-13 du code de commerce). Si le paiement à échéance n’est pas réalisable, ce « privilège environnemental » est classé au 6ème rang dans l’ordre de paiement des créanciers par l’article L. 643-8 du code de commerce.
Seules les créances liées à la mise en sécurité du site sont privilégiées. Le reste des créances environnementales nées postérieurement au jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire doivent être payées après désintéressement des créances bénéficiant d’un rang plus utile, si les actifs disponibles le permettent.
Plusieurs pratiques peuvent être mises en place lors du placement d’une entreprise agricole ou industrielle en liquidation judiciaire, afin d’assurer une gestion efficace des spécificités liées à la règlementation ICPE.
L’identification du statut ICPE d’une activité n’est pas toujours évidente et intervient via :
- le dirigeant qui dispose d’informations et de documents relatifs au statut ICPE de son activité, si elle y est effectivement soumise ;
- la base de données Géorisques qui recense les ICPE soumises à autorisation ou enregistrement ;
- la préfecture, qui dispose de l’entier dossier ICPE.
Attention : si la société placée en liquidation judiciaire dispose de plusieurs établissements répartis dans différents départements, vous devrez interroger chacune des préfectures concernées.
Les liquidations judiciaires ne sont pas toujours synonymes d’arrêt de l’activité au sens de la règlementation ICPE : la cessation d’activité concerne l’activité elle-même et non la société qui l’exploite. Cela implique que l’activité ICPE puisse se poursuivre malgré la liquidation judiciaire de l’exploitant : dans ce cas l’activité est reprise par un nouvel exploitant ICPE. Le changement d’exploitant doit être notifié à la préfecture selon une procédure qui diffère en fonction du statut administratif du site ICPE. Le repreneur devient le nouvel exploitant ICPE, ce qui est très avantageux pour la liquidation, car le passif environnemental est transféré au nouvel exploitant et que le mandataire judiciaire n’a pas à réaliser la procédure de cessation définitive d’activité. Il est recommandé de s’assurer du respect des formalités liées au changement d’exploitant et de solliciter copie du récépissé sans frais de la déclaration de changement d’exploitant auprès de la préfecture.Point de vigilance : En cas de reprise partielle d’activité, il conviendra de clarifier, idéalement lors d’une réunion sur site en présence d’un représentant de la préfecture, le périmètre de reprise et les obligations respectives du repreneur et du liquidateur judiciaire.
Dans les cas où vous disposez d’un bilan environnemental, réalisé à la demande de l’ancien dirigeant ou au cours d’une précédente procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire (obligatoire en matière d’ICPE), il est important d’en prendre connaissance.
En effet, ce bilan prévu par l’article R. 623-2 du code de commerce porte sur :
- l’identification et la description du site ICPE et de son environnement - l’existence de pollutions potentielles ;
- les mesures de mises en sécurité prises, prévues ou à prendre ;
- les mesures réalisées afin de surveiller l’impact de l’exploitation sur l’environnement.
La lecture du bilan environnemental peut vous fournir des indications importantes permettant d’anticiper le paiement des créances environnementales et d’identifier les mesures de sécurité préconisées, puisqu’il s’agit de créances postérieures privilégiées et une vigilance accrue en cas d’actif immobilier, puisque les ventes d’immeubles ayant accueilli des ICPE font l’objet d’obligations d’information spécifiques.
Dans la mesure où le liquidateur judiciaire est considéré par l’administration comme le dernier exploitant ICPE, il est amené à être en contact avec la préfecture et la DREAL (service de l’inspection des ICPE). Le premier contact avec l’administration peut consister, si vous êtes certain que l’activité va définitivement cesser, en la notification de la cessation définitive d’activité. Suite à cette notification, la DREAL réalise généralement une visite d’inspection sur le site, ce qui peut être l’occasion d’ouvrir un dialogue constructif sur la gestion du dossier. Si la liquidation judiciaire ne dispose pas de suffisamment de fonds pour respecter ses obligations en matière de cessation d’activité, il convient également d’en informer l’administration. L’impécuniosité de la procédure permettra à la préfecture, après avoir rédigé à l’encontre du liquidateur judiciaire un arrêté de consignation, de saisir l’ADEME, l’exploitant du site étant considéré comme défaillant.
En conclusion, les problématiques ICPE des liquidations judiciaires sont au croisement du droit de l’environnement et du droit des procédures collectives. Désormais, le rang des créances environnementales de la mise en sécurité d’un site ICPE est fixé par la loi, ce qui constitue une clarification bienvenue. Grâce à cette évolution législative et aux quatre réflexes susvisés, vous disposez des principales clefs pour comprendre et appréhender sereinement les enjeux de ces dossiers souvent complexes.