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Obligation individuelle de reclassement interne : vers un grand bond en arrière ?

Par Laurent GRISONI et Etienne MASSON, Avocats associés

Alors que la jurisprudence administrative applicable à l’obligation pour l’employeur d’élaborer un plan de reclassement interne tend à apporter des solutions sécurisantes pour les procédures mises en œuvre dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, la Cour de cassation se démarque sensiblement en adoptant en 2024 des décisions plus contraignantes pour l’employeur dans le cadre de l’obligation individuelle de recherche de reclassement interne.

Recherche de reclassement interne : pas de profil personnalisé des salariés à joindre aux courriers de recherche de reclassement mais des précisions individualisées à apporter aux demandes

Par deux décisions rendues le 29 mai 2024, n°22-15.565 et 22-15.559, la Cour de cassation a pour la première fois clarifié sa position sur les informations à joindre aux courriers de recherche de reclassement interne avec l’attendu suivant : « Si les recherches de postes disponibles dans les sociétés du groupe auquel appartient l'employeur qui envisage un licenciement économique collectif n'ont pas à être assorties du profil personnalisé des salariés concernés par le reclassement, elles doivent toutefois préciser la nature du contrat de travail, l'intitulé des emplois supprimés, le statut et le coefficient de classification des salariés concernés ».

Les employeurs ont été sanctionnés car leurs courriers « étaient d'ordre général et ne mentionnaient pas la qualification des salariés concernés » ou étaient « générales et abstraites ne comportaient aucune indication sur la nature de l'emploi et la classification du poste supprimé et n'étaient pas suffisamment détaillées pour assurer l'effectivité de la recherche de reclassement du salarié ». Quelle subtile nuance ! Pas de profil personnalisé mais l’obligation d’assortir la demande de reclassement d’informations individualisées relatives aux salariés concernés… La seule bonne nouvelle de cette décision est qu’elle donne pour une fois des indications précises sur les informations à joindre aux demandes de reclassement.

Sur le fond, l’auteur a eu à plusieurs fois l’occasion de critiquer cette position des juges du fond qui imposent que des informations précises visant les salariés concernés soient jointes aux demandes. En effet, l’objet de la demande de reclassement est de collecter de façon exhaustive l’ensemble des postes disponibles au sein de la société interrogée afin, dans un second temps, en fonction de sa connaissance des salariés visés par la mesure de licenciement, de leur expérience professionnelle, de leur formation, pouvoir proposer les postes en reclassement de façon individualisée.

Joindre des informations individualisées aux demandes de reclassement interne, c’est finalement permettre à l’entreprise tierce de faire un tri parmi les postes disponibles en considérant que, sur la base des informations parcellaires transmises et sans connaître les salariés visés par la mesure, certains postes ne correspondent pas à leur profil et ne seront donc pas mentionnés dans la réponse qu’il apportera à l’employeur. De ce fait, le risque est que l’employeur ne puisse pas démontrer avoir respecté son obligation de reclassement, dont la jurisprudence ne cesse de confirmer qu’il en est le débiteur exclusif. Fort opportunément, la Cour de cassation a apporté dans un arrêt du 11 septembre 2024 (n°23-11.626) un tempérament à cette position très rigoriste en considérant que la preuve apportée par l’employeur de l’absence de postes disponibles au sein des sociétés interrogées couvraient l’irrégularité liée à l’insuffisance des informations transmises dans les demandes de reclassement adressées : 

« Pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que, la lettre de recherche de reclassement adressée par l'employeur aux sociétés du groupe se limitant uniquement à l'indication de l'intitulé de la branche d'emploi, soit « poste d'administration des ventes », sans référence même à l'intitulé ou à la classification du poste de la salariée, est toutefois insuffisamment précise pour caractériser une recherche loyale et sérieuse de reclassement. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme il le soutenait, l'employeur qui avait versé aux débats les courriers de réponse adressés par les autres sociétés du groupe, ne justifiait pas à l'époque de la rupture du contrat de travail de l'absence de poste disponible au sein des entreprises du groupe, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Diffusion des offres de reclassement – attention à mentionner l’ensemble des informations précisées à l’article D1233-2-1 du code du travail !

L’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 23 octobre 2024 (n°23-19.629) apporte des précisions très intéressantes sur les exigences attendues lorsque l’employeur décide de procéder à la diffusion de l’ensemble des offres de reclassement.

Un petit rappel s’impose. Conscient des écueils multiples inhérents à la mise en œuvre de l’obligation individuelle et personnalisée de reclassement, les ordonnances Macron de 2017 ont institué un mode alternatif et plus sécurisé de proposition de reclassement : la circularisation de l’ensemble des postes disponibles dans l’entreprise ou dans le groupe. En choisissant la diffusion, l’employeur n’avait plus à faire un tri en étudiant la compatibilité entre le poste de reclassement et les compétences et expériences du salarié !

Mais il y a une contrepartie à cette sécurisation du processus que le juge judiciaire vient de rappeler.

La diffusion des postes doit s’accompagner de l’ensemble des informations visées à l’article D. 1233-2-1 alinéa II à savoir : L'intitulé du poste et son descriptif ; Le nom de l'employeur ; La nature du contrat de travail ; La localisation du poste ; Le niveau de rémunération ; La classification du poste.

A défaut de l'une de ces mentions, l'offre est imprécise, ce qui caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Dans l’affaire ayant donné lieu à cette décision, l’employeur avait libellé son courrier comme suit "un poste de magasinière à [Localité 3] (12) avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération". 

La Cour d’Appel avait relevé que « cette offre était taisante sur l'adresse de l'entreprise, son activité, la classification du poste, la seule mention " au même niveau de rémunération" étant très insuffisante pour permettre à la salariée de répondre valablement à cette offre ».

La Cour de cassation confirme l’arrêt en considérant que « l'offre de reclassement adressée à la salariée ne comportait ni le nom de l'employeur ni la classification du poste ni la nature du contrat de travail » en violation des dispositions de l’article D1233-2-1 du code du travail et que l'employeur « n'avait pas accompli avec la loyauté nécessaire son obligation de reclassement, se contentant d'une offre de reclassement imprécise et formelle, ce dont il résultait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ».

Ce rigorisme poussé à l’extrême pose un problème majeur aux praticiens des procédures collectives, habitués à mettre en œuvre cette obligation de reclassement dans des délais contraints, c’est celui de l’obligation de collecter auprès d’entreprises tierces l’ensemble des informations nécessaires pour satisfaire à son obligation, s’agissant en particulier du niveau de rémunération.

De nombreuses réponses reçues précisent seulement sur ce sujet « rémunération à négocier » ou « rémunération en fonction du profil » ou une fourchette de rémunération, information insuffisante pour satisfaire à l’obligation d’information loyale sur le sujet.

La mise en place de ce mode alternatif de proposition de reclassement génère d’autres problèmes, différents de ceux liés à la personnalisation de l’offre de reclassement, inhérents à la collecte des informations liées aux postes disponibles en reclassement contraignant les praticiens à une grande exigence sur ce sujet auprès des interlocuteurs des sociétés tierces.  

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