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Par Alexandre BORTOLUS, Administrateur judiciaire
Le sort de l’entreprise individuelle est intimement lié à son exploitant.
Aussi, le décès de ce dernier conduit nécessairement à s’interroger sur le devenir de l’entreprise. Le décès de l’entrepreneur ne se traduit pas, tant juridiquement qu’économiquement, par la disparition de l’entreprise. Son activité peut survivre au décès de l’entrepreneur. En pareille hypothèse, nous autres administrateurs judiciaires, sommes régulièrement missionnés pour administrer provisoirement des entreprises individuelles après le décès de l’exploitant.
Il faut rappeler que depuis la loi du 14 février 2022, l’entrepreneur individuel possède un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel. L’article L. 526-22 du code de commerce dispose que « dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis. Il en est de même en cas de décès de l'entrepreneur individuel, sous réserve des articles L. 631-3 et L. 640-3 du présent code.?» Les articles L. 631-3 et L. 640-3 du code de commerce prévoient la possibilité de solliciter l’ouverture d’une procédure collective postérieurement au décès de l’entrepreneur dans l’hypothèse où il était en état de cessation des paiements le jour de son décès.
Les dispositions de la loi de 2022, le droit successoral et le droit des entreprises en difficulté doivent donc être conjugués pour envisager les solutions de préservation de l’entreprise individuelle.
Nous verrons donc les conséquences sur la séparation du patrimoine, les missions qui peuvent être confiées à l’administrateur judiciaire et les solutions pouvant être mises en œuvre en fonction du moment de survenue du décès.
En effet, la situation est différente selon que le débiteur décède in bonis, en état de cessation des paiements ou durant une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Le sujet traitant du sauvetage de l’entreprise, nous n’évoquerons pas ici les particularités de la liquidation judiciaire. Pour cela, nous vous renvoyons vers la consultation du 8 mai 2023 du professeure MARTINEAU-BOURGNINAUD.
Trois hypothèses principales semblent se dessiner :
Il nous semble que les missions doivent varier selon la situation de l’entrepreneur. En effet, l’étendu des pouvoirs à confier à l’administrateur dépend des enjeux de la procédure et des patrimoines qu’elle vise. Une réponse type n’est par ailleurs pas possible tant les situations varient selon le contexte. Voici donc un panorama des missions types :
C’est alors qu’une étape intermédiaire peut prendre tout son sens. Les héritiers peuvent solliciter du président du tribunal compétent la désignation d’un administrateur provisoire. La demande se fera plus généralement par requête au visa de l’article 875 du code de procédure civile, solution plus rapide que le référé de l’article 808. Le décès de l’exploitation justifie l’urgence et l’absence de contradictoire. L’administrateur provisoire pourra alors prendre le contrôle des comptes bancaires professionnels, se rapprocher de l’expert-comptable et, de manière générale, faire toutes diligences pour déterminer la situation de l’entreprise. Ce n’est que s’il constate l’existence d’un état de cessation des paiements qu’il sollicitera l’ouverture d’une procédure collective. En revanche, il n’aura de visibilité que sur le patrimoine professionnel et ne pourra solliciter de procédure que sur ce dernier, sauf s’il constate une séparation imparfaite des patrimoines.
Il pourrait être envisagé une troisième voie. Il s’agit de la désignation d’un mandataire successoral au visa de l’article 813-1 du code civil. Cette démarche a le mérite de confier au mandataire désigné une compétence sur l’ensemble des patrimoines, qu’ils soient professionnels ou personnels. Cela peut permettre de traiter des situations complexes en une seule opération, notamment si l’entrepreneur est par ailleurs gérant de sociétés civiles.
Il pourra ainsi s’assurer la situation financière des différents patrimoines, du respect du cloisonnement prévu par les textes et ainsi prendre des décisions répondant aux intérêts du patrimoine complet du défunt. En revanche, sa mise en œuvre est plus lourde puisque la désignation n’interviendra qu’au terme d’une procédure accélérée au fond. Elle implique en outre de connaître l’identité et les coordonnées de chaque héritier.
Dans l’hypothèse où le débiteur faisait l’objet d’une procédure de sauvegarde ou de redressement, il ne nous semble pas acceptable de conclure que le décès conduit inévitablement à la liquidation judiciaire. Si cette solution peut se justifier dans un grand nombre de cas où il est impossible de maintenir l’activité et où seuls pourront être valorisés des actifs isolés, nous avons régulièrement été confrontés à des entreprises individuelles employant des salariés capables de pour suivre une activité économique malgré le décès de leur patron, dotées d’un carnet de commandes ou de marchés valorisables impliquant le maintien de l’activité, dont les héritiers se mobilisent pour faire perdurer l’activité, etc. Autrement dit, des entreprises capables de survivre au décès de l’entrepreneur.
Il ne faut pas oublier que l’article 724 du code civil prévoit que les héritiers sont « saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ». Tout héritier serait donc en mesure de se déclarer successeur du défunt dans la gestion de l’entreprise, y compris après une période de réflexion sur l’acceptation ou la renonciation à la succession. Il est donc essentiel pour les organes de la procédure de permettre l’aboutissement de cette réflexion autant que les conditions économiques, juridiques et financières de l’entreprise le permettent. La conversion brutale de la procédure en cours en liquidation judiciaire pourrait donc constituer un préjudice à l’égard des héritiers privés d’un plan de cession désintéressant tout ou partie des créanciers ou d’une reprise de l’activité par leur soin.
L’administrateur judiciaire désigné avec les pleins pouvoirs dans le cadre d’une période d’observation a les mêmes prérogatives que si le débiteur était toujours vivant. Il peut ainsi travailler à la cession de l’entreprise, organiser sa liquidation, une sortie pour extinction du passif sur le fondement de l’article L.631-16 du code de commerce (ce qui peut être le cas en cas de mise en œuvre d’assurance décès et de contrats de prévoyance) voire préparer un plan de redressement. L’administrateur provisoire ou le mandataire successoral qui auraient eu à solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire peuvent également envisager ces solutions. En revanche, ils ne pourront pas travailler seuls à la mise en place d’un plan de cession sans l’intervention d’un confrère mandataire ou administrateur.
Cette dernière hypothèse peut sembler étonnante. Pourtant, le législateur a prévu, via l’article L. 631-3 du code de commerce, la possibilité de solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement pour une entreprise individuelle dont le dirigeant est décédé. Or, « la procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation ». Il serait dès lors contradictoire de bloquer la présentation d’un plan au seul motif que le débiteur est décédé. Si tel avait été la volonté du législateur, nous supposons qu’il aurait permis l’accès uniquement à la liquidation judiciaire. Nous ne voyons donc pas ce qui empêcherait de présenter un plan de sauvegarde ou de redressement si une personne peut l’exécuter. Il faut donc qu’au moins un héritier reprenne l’activité économique.
En présence d’un héritier unique, la solution peut être aisée. Elle devient plus complexe en présence de plusieurs héritiers. La solution de facilité serait d’envisager une poursuite de l’activité par l’indivision successorale. Cela engage toutefois l’ensemble des héritiers dont certains peuvent ne pas avoir vocation à la reprise, sans compter que l’entreprise ne permet pas nécessairement de faire vivre tous les héritiers et qu’une gestion par plusieurs personnes est source d’aléas. À ce titre, il nous semble que la loi de février 2022 facilite indirectement le mécanisme d’attribution de l’entreprise individuelle. Le patrimoine professionnel étant identifié et isolé dans un patrimoine distinct (actifs immobilisés, passifs comptabilisés et en l’occurrence déclaré), l’acte de partage pourrait parfaitement prévoir l’attribution de ce patrimoine à un héritier spécifiquement. Ce dernier peut alors assumer seul le plan et ses conséquences.
Des solutions alternatives peuvent être envisagées pour répondre aux cas d’espèce, tous si différents en la matière. Ainsi, nous avons pu travailler sur des solutions de location gérance, la redevance permettant le paiement du plan, des solutions de création d’une société ad hoc qui serait désignée comme la personne tenue de l’exécuter au sens de l’article L.626-10 du code de commerce. Ces solutions sont à notre avis moins satisfaisantes que l’attribution dans la mesure où nous considérons que la dette reste attachée au patrimoine successoral et que l’échec du plan aurait des répercussions sur l’ensemble des héritiers.
Ce point pourrait faire l’objet de futurs développements. Ces solutions peuvent cependant servir de transition dans les hypothèses où la durée de la période d’observation ne permet pas le règlement de la succession. Rien n’empêche par la suite une modification substantielle du plan arrêté.
Les héritiers, l’administrateur provisoire ou le mandataire successoral désigné sur une entreprise individuelle peuvent constater des difficultés postérieures au décès, sans toutefois que l’état de cessation des paiements ne soit avéré. L’enjeu est alors important puisqu’en pareille hypothèse tout le patrimoine de l’entrepreneur (personne et professionnel) est concerné. Peuvent-ils alors solliciter l’ouverture d’une sauvegarde voire d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation ? Si l’article L.526-22 du code de commerce ne vise que des articles se rattachant au redressement et à la liquidation, ce n’est que pour créer une exclusion au principe de réunion des patrimoines de l’entrepreneur.
Les articles L.631-3 et L.640-3 du code de commerce précisent que l’assignation en redressement ou en liquidation judiciaire ne peut être délivrée que dans le délai d’un an à compter du décès. Ils précisent en revanche que l’héritier peut agir sans délai. Par conséquent, pour l’héritier, le décès n’a aucune incidence, sauf à lui transférer le droit d’agir sur le patrimoine du défunt, ce qui découle du droit commun des successions. Ce pouvoir ne semble rappelé que pour éviter de l’enfermer dans le délai d’un an visé pour les assignations. Il est donc logique que rien ne soit évoqué pour les mandat ad hoc, conciliation ou sauvegarde puisque seul le débiteur peut agir. Or, l’héritier peut prendre toute mesures conservatoires ou d’administration sur l’entreprise, l’administrateur provisoire ou le mandataire successoral également. Dans ces conditions, une demande formulée par l’un deux pour obtenir l’ouverture d’une procédure de prévention ou de sauvegarde n’aurait pas à être rejetée au motif que l’entrepreneur est décédé ou en défaut de qualité à agir.
Encore faut-il justifier la pertinence d’une telle mesure notamment au regard de la pérennité de la structure. Si cette situation semble être un cas d’école, nous pensons que cela peut avoir du sens notamment dans des exploitations agricoles où l’activité individuelle est encore très répandue malgré l’importance des exploitations. L’hypothèse mérite donc notre attention.
Les licenciements économiques en redressement et liquidation judiciaires, étape par étape
Bulletin de l'IFPPC - n°83
Télécharger (PDF, 3.3Mo)Bulletin de l'IFPPC - n°82
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