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Le droit de la défaillance ne tient plus rancune au débiteur ayant échoué de bonne foi. Avec l’objectif assumé de favoriser le rebond du débiteur, le législateur n’a eu de cesse de renforcer l’attractivité du droit de la défaillance économique.
En dépit de la suppression des stigmates légaux par faveur pour les débiteurs malchanceux, le poids de l’échec demeure omniprésent dans l’esprit du débiteur qui peine à rebondir et se reconstruire. Pire encore, la persistance de stigmates sociaux oblige à observer son évitement du bénéfice des mesures de faveur et notamment celles lui permettant de lutter contre l’aggravation de ses difficultés.
Pour autant,
il apparaît que le droit au rebond n’est plus seulement la préoccupation du
seul législateur.
Objet de toutes les attentions, la politique de déstigmatisation
de l’échec s’opère désormais à plusieurs mains et mobilise de nouveaux acteurs
dans la pédagogie du rebond.
C’est ainsi que les pouvoirs publics et la société
civile s’efforcent de renouveler la pédagogie autour des procédures
d’insolvabilité et sur la capacité de rebond du débiteur.
De la sorte,
l’écosystème associatif colportant des valeurs humanistes au service de tous
les débiteurs démontre l’existence d’une véritable solidarité nationale en faveur
de ceux ayant échoué et qui restent fragilisés par leur défaillance.
Sans être
des « effets de mode », ces initiatives ayant pour finalité
d’accompagner le débiteur dans son rebond s’inscrivent en relais des mécanismes
légaux.
Par son utilité auprès du débiteur, et plus largement de la
collectivité, l’écosystème associatif participe assurément au renforcement du
tissu économique et à la vulgarisation du droit au rebond.
Ceci d’autant plus à
l’heure où le législateur européen exhorte désormais ses États membres à
garantir le droit à une « seconde chance ».
Depuis quelques années,
plusieurs initiatives sont prises dans cette perspective par des associations
luttant activement contre les préjugés liés à l’échec entrepreneurial.
Pour ne
citer que l’une d’elles, l’association APESA France permet à tout chef
d’entreprise en souffrance aiguë de bénéficier d’une prise en charge
psychologique d’urgence, gratuite, confidentielle et à proximité de son
domicile par des psychologues spécialisés dans le traitement de la souffrance
morale et des « idées noires » résultant des difficultés de
l’entreprise.
La souffrance du chef d’entreprise en difficulté reste encore un
sujet tabou.
Ce n’est que depuis récemment qu’elle a trouvé écho chez une
doctrine minoritaire ayant pris conscience de la solitude du chef d’entreprise
et de l’impact d’une procédure collective sur sa santé mentale. Dans cette
situation, on observe que le rebond de l’entrepreneur est nécessairement freiné
par la souffrance psychologique.
Il est en effet paradoxal de constater que si les mesures de purge des dettes se veulent humanistes, en ce qu’elles permettent à un débiteur acculé de dettes d’être délesté d’un passif devenu trop lourd à porter, l’aspect humain est totalement éludé des conséquences du traitement de la défaillance économique.
Cette absence de prise en compte apparaît assez logique puisqu’il
n’est pas de la compétence des membres des tribunaux de commerce et des
tribunaux judiciaires d’assurer l’accompagnement psychologique du chef
d’entreprise.
Sa prise en charge doit nécessairement être assurée par des
professionnels formés à cette fin.
En ce qu’il mêle des enjeux juridiques et
économiques très importants, le droit des entreprises en difficulté est un
« droit dur » traduisant un univers particulièrement insécurisant
pour le chef d’entreprise.
Pour autant, il apparaît que ces enjeux cohabitent
nécessairement avec des enjeux humains.
De la sorte, l’aspect humain
incomberait nécessairement à la justice économique laquelle ne pourrait passer
outre la dimension psychologique du chef d’entreprise.
Le droit de
l’insolvabilité n’empêche pas le traitement humain d’une procédure.
De ces observations, il apparaît que si les professionnels du droit ne peuvent légitiment enfiler l’habit du psychologue ou jouer les apprentis psychiatres, à tout le moins peuvent-ils servir d’outil à la détection de la souffrance du chef d’entreprise afin de l’orienter, le cas échéant, vers des professionnels qualifiés.
Il est permis d’affirmer que le juge ne sort pas de son impartialité
lorsqu’il se contente d’alerter sur une situation de détresse psychologique,
qui plus est dans un cadre paraprocédural.
Et le Professeur Jocelyne VALLANSAN
de souligner dans son ouvrage que « le traitement médical et psychique du
chef d’entreprise n’a rien à faire dans un ouvrage juridique […] toutefois la
situation mentale des chefs d’entreprises est telle […] que la mention de ce
dispositif [APESA] a semblé trouver sa place dans un guide des procédures
collectives » (J-L. VALLANSAN, Guide des procédures collectives
2022-2023, LexisNexis, 2022, fiche 21, N°V).
« Nul n’est censé ignorer la loi… et la souffrance ». C’est de cette manière que se résume la devise du dispositif APESA, inspiré du concept de la « jurisprudence thérapeutique » créé en 1991 par le Professeur David WEXLER.
Né en 2013, ce dispositif est le fruit de la rencontre
entre Marc BINNIÉ, greffier au tribunal de commerce de Saintes et Jean-Luc
DOUILLARD, psychologue clinicien.
Si les outils juridiques pour contenir et
canaliser le chaos des difficultés des entreprises sont efficaces, il est
apparu aux yeux des fondateurs que ceux-ci ne le sont pas pour traiter la
souffrance humaine d’un entrepreneur hanté par des « idées noires ».
La création du dispositif APESA est apparue comme une avancée précieuse
attestant de la prise en compte novatrice de l’aspect humain dans le droit des
entreprises en difficulté.
Outre le fait d’être déployé au cœur même d’un grand
nombre de juridictions consulaires, l’adhésion au dispositif est également
perceptible au sein de l’institution judiciaire.
À l’occasion des audiences solennelles de rentrée, plusieurs chefs de juridiction et de cour ont souligné la mise en œuvre effective du dispositif, évoquant son caractère indispensable pour les dossiers dans lesquels un accompagnement psychologique des dirigeants est prioritaire.
L’intégration de la présentation du dispositif APESA dans le
guide des « bonnes pratiques » du Ministère de la Justice atteste de
la reconnaissance de ce dispositif au sein de l’institution judiciaire.
À cet
égard, l’École nationale de la magistrature, consciente de la nécessité
d’améliorer le service offert au justiciable, souhaite sensibiliser les
magistrats en intégrant à leur formation continue sur le parquet commercial,
l’importance de l’utilité du dispositif APESA.
Soulignons également qu’à l’aune de la réforme de la justice économique, l’intérêt du dispositif a été particulièrement souligné dans les rapports RICHELME et SAUVÉ.
Parce que le traitement juridique de la procédure collective ne peut plus faire l’économie de l’aspect humain, l’instauration du dispositif APESA est apparu comme une nécessité aux yeux de praticiens impuissants face à la souffrance humaine.
Alerter sur la détresse psychologique d’un chef d’entreprise est désormais à la portée de tous les acteurs du droit de l’insolvabilité. En instituant des « capteurs humains » sur la route du chef d’entreprise, le dispositif APESA participe à désamorcer les conséquences néfastes de l’autostigmatisation sur sa personne.
Partout où il a été déployé, il continue de prospérer au point de séduire
par-delà les frontières.
L’élargissement du dispositif APESA auprès de nos
voisins belges démontre effectivement que la prise en charge de la souffrance
psychologique du chef d’entreprise dépasse les frontières et se veut
collective.
Si depuis son instauration au sein de nombreux tribunaux de commerce, le dispositif APESA a largement porté ses fruits – preuve que la collaboration du juridique et du psychologique est gage de rebond – il n’est, pour le moment, envisagé aucune consécration législative de ce dispositif.
Devant l’efficacité de la rencontre entre la psychologie et le droit, une consécration légale au sein du Code de commerce aurait le mérite de s’inscrire en parfaite cohérence avec le droit du surendettement qui permet au juge, lorsque la situation du débiteur l’exige, à l’ouverture ou à la clôture de la procédure de rétablissement personnel, de l’inviter « à solliciter une mesure d’aide ou d’action sociale, notamment une mesure d’accompagnement social personnalisé ».
De la sorte, on pourrait suggérer la formulation suivante pour toutes les
personnes physiques éligibles au livre VI du Code de commerce : « Lorsque la
situation du dirigeant ou de l’entrepreneur l’exige, le juge peut l’inviter à
solliciter une mesure d’aide ou d’accompagnement psychologique ».
Cette
suggestion trouverait assurément sa place au sein d’une justice économique du XXIe
siècle en quête de modernisation.
Contribution à l’étude du droit de la défaillance économique.
354 pages - 36 €
L’Harmattan, 2023