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Un article des Echos du 9 mai 2023, intitulé "Des sociétés éphémères qui pillent les caisses de l'Etat", fait état du plan antifraude de Bercy pour déclarer la guerre aux « sociétés éphémères ».
Le journal Challenges fustigeait déjà le 10 juillet 2017 le "fléau des sociétés fantômes éphémères qui pollue l'économie". Ces entreprises coûtent chaque année des centaines de millions, voire des milliards d'euros aux finances publiques.
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Dans cette lutte contre la fraude, il est un acteur clé, encore et malheureusement comme souvent, oublié des pouvoirs publics, le mandataire judiciaire.
La liquidation judiciaire, lorsqu'elle est entachée d'actes délibérément contraires à la loi ou à l'éthique des affaires, tels que la dissimulation d'actifs ou la surévaluation de passifs, dans le but d'échapper aux dettes ou de porter préjudice aux créanciers est sanctionnée par le Code de commerce, notamment dans ses articles L. 654-1 à L. 654-15 dans les cas suivants :
L'impact économique des liquidations frauduleuses est profond et multidimensionnel.
Au niveau microéconomique, elles privent les créanciers de leur dû, altèrent la concurrence loyale et peuvent mener à la destruction d'emplois.
Macroéconomiquement, elles érodent la confiance dans l'économie de marché, augmentent le coût du crédit et peuvent induire une instabilité financière.
L'INSEE a documenté comment de telles pratiques peuvent conduire à une sous-estimation du PIB et affecter la perception du risque pays. La prévention et la sanction de ces pratiques sont donc essentielles pour maintenir l'intégrité économique et la justice commerciale.
Le mandataire judiciaire est soumis à deux obligations distinctes, mais parfois cumulatives, de déclaration de certains faits qu’il peut constater au cours de l’exécution de sa mission. Le mandataire judiciaire, en vertu de l'article L. 651-2 du Code de commerce, a le devoir de signaler au procureur de la République toute faute de gestion ayant contribué à l'insolvabilité. D’une part, il est soumis par l’article L. 814-2 du même code à une obligation déclarative auprès du procureur de la République. Ainsi, il avisera ce dernier de tous crimes et délits qu’il pourra constater et fournira les documents afférents. D’autre part, depuis 2014, le mandataire est soumis à une obligation déclarative par le code monétaire et financier, ce que l’on dénomme usuellement les « obligations LAB-FT ». Le code monétaire et financier soumet le professionnel à une obligation de vigilance et, le cas échéant, à une obligation de déclaration. Le personnel des études des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires est formé à cette problématique et des procédures internes ont été élaborées pour déceler les fraudes potentielles. En cas de soupçon de blanchiment ou de financement du terrorisme, le mandataire doit également effectuer une déclaration à Tracfin, conformément à la législation anti-blanchiment. Ces déclarations sont essentielles pour initier des enquêtes qui pourraient mener à des sanctions pénales, civiles ou commerciales contre les responsables.
Le mandataire dispose de plusieurs outils pour détecter les fraudes, notamment l'accès aux livres comptables, et le recours à des experts pour évaluer les actifs et passifs. Les déclarations de créances peuvent également permettre de constater des dérives, comme par exemple en constatant le préjudice de nombreux particuliers ayant versé des acomptes sans obtenir les prestations prévues.
Ces mesures sont renforcées par des enquêtes patrimoniales, qui peuvent inclure des demandes d'informations auprès du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) et des établissements bancaires.
Le liquidateur peut obtenir, sur le fondement de l’article L. 622-6 du code de commerce applicable en liquidation judiciaire, communication des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur auprès des organismes institutionnels visés par le texte. Surtout, dès lors qu’il a pour mission de recouvrer les droits et actions patrimoniaux du débiteur, dessaisi en vertu de l’article L. 641-9 du code de commerce, il ne peut pas être considéré comme un tiers auquel le secret professionnel s’impose.
L'article L. 812-2 du Code de commerce a institué le fonds de financements des dossiers impécunieux (FFDI), qui prend en charge les coûts des procédures de liquidation judiciaire pour les entreprises dépourvues de ressources suffisantes. Ce fonds garantit que les mandataires peuvent exercer leurs fonctions sans imposer de coûts supplémentaires à l'État ou aux contribuables, assurant ainsi que même les créanciers des entreprises les plus modestes puissent être pris en compte et préservés dans leur droit.
Ainsi, le liquidateur judiciaire est tenu aux mêmes obligations vis-à-vis de toutes les entreprises en dépôt de bilan, indépendamment de la situation d'impécuniosité ou non. Il doit vérifier que les tâches essentielles ne sont pas négligées au motif que le dossier est impécunieux, afin que cette situation ne soit préjudiciable ni aux débiteurs ni aux créanciers ni aux salariés.
Malgré le rôle clé du mandataire judiciaire dans la détection des irrégularités et des fraudes lors des liquidations judiciaires, il est confronté à des limites significatives d'accès aux informations et n'a toujours pas d’accès direct aux fichiers nationaux tels que :
Le fichier national des comptes bancaires et assimilés (dit FICOBA) peut être interrogé pour avoir connaissance des comptes bancaires détenus par le débiteur. Toutefois, sur ce dernier point, il est regrettable que le mandataire judiciaire n’ait pas directement accès aux comptes bancaires étrangers, qui sont pourtant connus de l’administration fiscale puisque ces comptes doivent lui être déclarés. Ce fichier étant géré par la Direction générale des finances publiques, nous pouvons espérer une évolution prochaine qui sera la bienvenue, a fortiori au regard du développement des banques en ligne, parfois étrangères, mais accessibles depuis le territoire français.
Ces accès pourraient optimiser la détection des fraudes. Cette restriction représente un paradoxe : le mandataire judiciaire doit mettre en œuvre les diligences nécessaires pour déceler les manœuvres frauduleuses, comme les fraudes à la TVA, l’embauche fictive de salariés ou encore le détournement des aides liées à l'épidémie de covid 19, sans pour autant disposer des outils de vérification les plus efficaces.
Il est nécessaire de trouver un équilibre entre la protection de la vie privée (RGPD) et la nécessité d'une transparence économique pour lutter efficacement contre la fraude. Une révision des réglementations actuelles pourrait être envisagée pour renforcer le pouvoir d'action du mandataire judiciaire, dans le respect des directives européennes sur la protection des données personnelles et le secret professionnel.
Cette évolution est d’autant plus importante que le mandataire judiciaire intervient dans l’intérêt collectif des créanciers et, s’agissant des dossiers frauduleux, les créanciers les plus lésés sont généralement les créanciers institutionnels, aussi bien des administrations fiscales que de la sécurité sociale.
Le projet de directive européenne Insolvency 3, et en particulier son article 39, introduit une réforme qui pourrait marquer un tournant dans la gestion des défaillances des micro-entreprises (moins de 10 salariés et 2M€ de CA).
L'article suggère que l'intervention d'un praticien de l'insolvabilité ne serait pas nécessaire dans le cadre des liquidations simplifiées de ces entités, du fait de la simplicité de leurs opérations commerciales.
Cette approche laisse présager un changement significatif dans le contrôle des procédures d'insolvabilité, le débiteur conservant la gestion de ses actifs et l'exploitation courante de son entreprise.
Cette proposition soulève des inquiétudes.
En effet, bien que la simplification des processus soit louable, en restant sur le seul sujet de la fraude, la suppression du rôle de surveillance et de contrôle du mandataire judiciaire pourrait ouvrir la voie à des abus.
Sans contrôle d’un professionnel de l’insolvabilité, les risques de détournement des actifs, d’augmentation frauduleuse du passif et de rupture d’égalité entre les créanciers seraient avérés, entraînant une inefficacité patente de la procédure liquidative et des perspectives de paiement des créanciers.
L’absence d’un professionnel de l’insolvabilité chargé de surveiller et contrôler les opérations liquidatives conduirait à ouvrir une brèche dans le mécanisme de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Les professionnels de l’insolvabilité français sont assujettis aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme depuis 2004.
Depuis cette date, les Administrateurs et Mandataires Judiciaires se sont efforcés, sans relâche, de satisfaire à ces obligations de vigilance et signalement (En 2019 : 20 % déclarations sur les SNF) : (en 2019).
Les procédures de liquidation judiciaire, quelle que soit la taille des entreprises, y sont soumises, et sont ainsi d’importants vecteurs de surveillance et de découverte de potentielles fraudes.
Décider qu’un professionnel de l’insolvabilité ne soit pas obligatoirement désigné dans le traitement des liquidations judiciaires des microentreprises reviendrait à bafouer la recherche des infractions de lutte contre le blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme.
Il est impératif que la directive européenne reflète ces nécessités pour éviter de compromettre la lutte contre la fraude et de protéger les acteurs économiques vulnérables.
En effet, c’est le professionnel de l’insolvabilité qui met en œuvre la procédure de licenciement pour motif économique des salariés et qui permet le règlement des indemnités salariales de fin de contrat. La mise en œuvre d’une procédure de liquidation judiciaire sans professionnel de l’insolvabilité entraînerait une grave rupture d’égalité entre les salariés et un déficit dans la préservation de leurs droits.
Parce qu’il représente l'intérêt collectif des créanciers, le mandataire judiciaire permet de refléter la réalité de l'entreprise. Il facilite la révélation d’une situation frauduleuse et la mise en œuvre des poursuites nécessaires pour assainir le milieu des affaires et éviter la concurrence déloyale.
Les mandataires judiciaires sont des acteurs clés dans la détection et la prévention des liquidations frauduleuses, notamment dans ces sociétés éphémères qui sont de plus en plus présentes dans les procédures collectives. Ces pratiques ont un impact économique significatif, portant préjudice aux créanciers et perturbant l'économie.
Pour remplir cette mission, les mandataires judiciaires doivent signaler les fautes de gestion au procureur de la République, effectuer des déclarations à Tracfin en cas de soupçons de blanchiment, et utiliser les outils d'enquête pour révéler les fraudes. Cependant, les limitations liées à l'accès aux fichiers nationaux entravent l’efficacité de ce processus.
Il semble essentiel que la profession soit reconnue et soutenue pour avoir sur ce sujet les moyens de lutter contre les fraudes et ainsi garantir une économie juste et transparente pour protéger le tissu économique et réguler l’activité entrepreneuriale.
Bulletin de l'IFPPC - n°83
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